PALÉONTOLOGIE
Le plus vieux des Européens
La découverte en Espagne du plus ancien fossile humain connu en Europe pourrait remettre en question certaines théories communément admises sur l'évolution humaine.
La une de Nature du 27 mars
Ce n'est qu'un fragment de mâchoire, mais il a ébranlé la vision la
plus couramment admise à ce jour de l'évolution humaine au cours des
derniers 1,5 million d'années. Il s'agit d'un fossile découvert en juin
dernier dans le gisement d'Atapuerca, dans le nord de l'Espagne, et son
importance réside dans son âge : datant d'au moins 1,2 million
d'années, c'est le plus vieux reste humain connu en Europe. Les
chercheurs en tirent deux grandes conclusions. La première, c'est que
la présence humaine en Europe est beaucoup plus ancienne qu'on ne le
pensait jusqu'ici. La seconde, liée à la première, c'est que le
continent européen a pu être le berceau non seulement de l'homme de
Neandertal, comme on le pensait, mais aussi d'espèces comme Homo antecessor, possible ancêtre commun de l'homme de Neandertal et de l'homme moderne, Homo sapiens.
"Jusqu'à présent, on pensait que le seul apport de l'Europe à
l'évolution humaine était une espèce très intelligente mais ratée, les
Néandertaliens. Aujourd'hui, nous voyons qu'il s'est passé beaucoup de
choses", explique Juan Luis Arsuaga, du Centre de recherches sur
l'évolution et le comportement humains, codirecteur des fouilles dans
le gisement d'Atapuerca, avec Eudald Carbonell, directeur de l'Institut
catalan de paléoécologie humaine et d'évolution, et José María Bermúdez
de Castro, du Centre national de recherches sur l'évolution humaine.
Ces chercheurs présentent leur découverte en compagnie de vingt-sept
autres scientifiques, dans un article publié aujourd'hui dans la revue Nature, et annoncé à la une sous le titre "Le premier Européen ?"
Cette découverte peut modifier notre vision globale de l'évolution
humaine. Après des décennies de débats, la théorie la plus largement
acceptée est que les humains sont apparus et ont évolué en Afrique,
continent dont ils ont émigré en plusieurs vagues. On considère comme
avéré qu'Homo sapiens
(c'est-à-dire l'homme moderne) est parti d'Afrique il y a moins de 100
000 ans et s'est disséminé sur la planète, supplantant d'autres espèces
humaines déjà établies – dont en Europe l'homme de Neandertal. Mais le
fossile d'Atapuerca pourrait signifier que l'Afrique n'est pas le seul
endroit où ont évolué des espèces ancêtres d'Homo sapiens. "Il faut peut-être penser qu'il y a eu des vagues évolutives dans différentes directions", note Juan Luis Arsuaga.
Mónica Salomone
El Pais (Madrid) - traduction Courrier International