Le plus grand accélérateur de particules du monde devant un tribunal
Encore un procès bien américain...!
Un juriste américain qui se pique de physique veut interdire la mise en service imminente du grand collisionneur de hadrons du Cern, près de Genève. Selon lui, ce grand instrument de recherche a le pouvoir d'engloutir la Terre.
Le grand collisionneur de hadrons (LHC) CERN
L'accélérateur de particules le plus grand et le plus cher du monde, construit au Cern
(Organisation européenne pour la recherche nucléaire), près de Genève,
pour essayer de mieux comprendre notre Univers, pourrait ne pas entrer
en service dans les prochains mois, en raison d'une étrange affaire
judiciaire qui a ses origines à Hawaii. Deux personnes, Walter
L. Wagner et Luis Sancho, ont déposé devant un tribunal d'Honolulu un
recours contre la supermachine européenne, affirmant que les
expériences prévues "pourraient créer un trou noir susceptible
d'engloutir la Terre et peut-être l'univers entier".
Une accusation de poids. La cour fédérale de district d'Honolulu, qui
ne pouvait ignorer la requête, a déclaré le 21 mars la plainte
recevable et a fixé la première confrontation entre les parties
adverses au 16 juin prochain. L'un des deux plaignants, Walter
L. Wagner, a un passé de physicien à l'université de Californie, mais
il s'est orienté vers le droit et a préféré consacrer sa vie à éplucher
la législation. Le personnage est déjà connu des annales
physico-judiciaires : en 1999, il avait déposé une plainte identique
contre un accélérateur de particules américain, celui du laboratoire
national de Bookhaven, conçu pour des recherches analogues mais à plus
faible énergie.
Quant à Luis Sancho, on sait seulement qu'il s'intéresse à la
théorie du temps et qu'il vit en Espagne, peut-être à Barcelone. La
mise en service imminente du grand collisionneur de hadrons (LHC) du
Cern, qui a coûté 5 milliards d'euros, a donc offert à Walter L. Wagner
l'occasion de déployer son action contre ce genre de recherches, en se
fondant sur un présomption de forte dangerosité. Il affirme que les
scientifiques n'ont pas suffisamment enquêté avant d'entreprendre leurs
expérimentations.
Le porte-parole du Cern précise que le tribunal d'Honolulu n'a
aucunement le pouvoir d'interdire les travaux en Europe et que, quoi
qu'il en soit, deux enquêtes ont déjà démontré que ces recherches se
déroulaient en toute sécurité. En outre, pour ne laisser subsister
aucun doute, une troisième investigation est en cours et ses
conclusions seront rendues publiques le 6 avril prochain.
Mais Wagner n'a que faire des affirmations du Cern et se dit
certain d'arriver cette fois à un résultat. "Parce que, explique-t-il,
le Fermi National Accelerator Laboratory [dit "Fermilab", l'équivalent
du Cern aux Etats-Unis] et le ministère de l'Energie américain
collaborent aussi au programme : ils fournissent des aimants
supraconducteurs. C'est donc sur ces éléments que le tribunal fédéral
peut faire porter son jugement, qui aurait pour résultat de bloquer la
grande machine." Il demande que le juge ordonne l'interruption de la
mise en service de l'accélérateur en attendant que les scientifiques
produisent un rapport définitif et détaillé sur la sécurité qui, à son
avis, "n'existe pas pour le moment".
"Le grand collisionneur de hadrons reproduira des réactions
analogues à celles qui se créent cent mille fois par jour et de façon
naturelle lorsque les rayons cosmiques pleuvent sur l'atmosphère.
Pourtant, jamais aucun trou noir ne s'est créé", a déclaré au New York Times
Nima Arkani-Hamed de l'Institut pour la recherche avancée de Princeton.
"L'accusation selon laquelle nous aurions pris le risque de provoquer
l'apocalypse est dépourvue de tout fondement", se défend Roberto
Petronzio, directeur de l'Institut italien de physique nucléaire. Six
cents physiciens italiens rattachés à cet institut ont participé à la
construction du LHC et participent aujourd'hui à des programmes de
recherche qui lui sont liés. Aux Etats-Unis, où sévissent les croisades
des antidarwiniens, la guerre entre science et irrationnel finit
souvent devant les tribunaux.
Giovanni Caprara, le 01.04.08
Corriere della Sera (Italie)